VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES



Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…


samedi 4 octobre 2008

MOTS & FLOCONS

Souvent c'est en marchant dans la rue. Les mots me tombent dessus comme des flocons de neige, disait Luigi Éden-Théa. Beaucoup se retiennent en pentes sur les toits, s'accumulant en couches inégales, dans le sens d'une tentation permanente. D'autres semblent voltiger sans fin dans une zone du ciel plus éloignée, et ne jamais pouvoir atteindre le sol ni le bas sommet de mon crâne. Chacun de ces mots-flocons danse mollement dans l'azur, prêt à statufier sur pied le réel dans une gangue de sel, à empaqueter la moindre sensation dans un bloc de froid, à faire de la moindre seconde suspendue un blanc paquet cadeau. Sans tourner une seule fois la langue dans leurs bouches, ce sont des mots bien aiguisés, bien huilés et prêts à l'emploi qui sont là, comme à l'affût, prêts à descendre en rappel le long de mes os, disait-il. Comme de la neige ils ne demandent qu'à se saisir de la réalité au coin de la rue, qu'à lui recouvrir le visage d'un voile frais, et à ne plus la lâcher. L'espace d'un instant, ils ont cette puissance bestiale, cette capacité d'injonction qui fait un cercle tout autour de soi. Même si c'est d'une manière infime, à la fois saisissante et mystérieuse, ils ont soudain la force d'exister, de jaillir des choses mêmes et de se jeter sur nous avec un habitus de fauves réduits sur leur aire. Le but inavoué des mots c'est qu'ils voudraient faire rendre gorge à la réalité, à tous les éléments qui alimentent le réel en permanence depuis que le monde est monde, que le ciel ciel, que le temps est un paysage et le paysage, une durée. Toujours prêts à faire corps, à consister, à demeurer, les mots qui nous échoient au hasard de la promenade n'ont rien de sacré. Le temps de les apercevoir, de s'en étonner ou de les énoncer et voilà qu'ils ont déjà disparu, effacés par quelque averse suivante, par une vague silencieuse ou par le brouhaha urbain. Éteints au creux de l'étincelle par des feux réalistes, par d'autres sources, camouflés sous des mots ce sont d'autres flocons qui tombent ; aussi dignes de réalité que la neige peut l'être de pluies murmurées…