VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES



Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…


samedi 20 septembre 2008

POST SCRIPTUM

(léger post scriptum aux posts du 08, 09 et 10 septembre)

On a écrit avant d'avoir des miroirs sous la main. Bien avant les métaux polis, les gypses translucides, les babioles sensibles au soleil et les arpèges des ères industrieuses. La fabrique de soi, le honteux héritage débute avec l'intention de se pencher sur l'eau ; avec ce souci-là, à la fois caricatural et sidérant. N'importe qui, n'importe où, tenant à savoir qui il est se penche d'abord sur lui-même ; à commencer par celui qui fuit au bout du monde, au bout de la nuit comme au cœur des ténèbres et peu lui importe de se tromper. Se mirer c'est se tromper — un enfant de deux ans sait cela au pied de l'armoire de ses parents. Comme le dit si bien Engadine, Il faut établir la proposition : nous ne vivons que grâce à des illusions — notre conscience effleure la surface. Bien des choses échappent à notre regard. Il n'est pas non plus à craindre que l'homme se connaisse totalement, qu'il pénètre à tout instant toutes les lois des forces du levier, de la mécanique, toutes les formules de l'architecture, de la chimie, qui sont utiles à la vie. Il est bien possible que le schème entier en devienne connu. Cela ne change presque rien à notre vie. Pour elle il n'y a, dans tout cela, que des formules désignant des forces absolument inconnaissables.
C'est ainsi que la pente se prend, à l'horizontal sur cette lame liquide qu'un seul cil peut troubler. Chevillée au corps comme le ciel au paysage, l'image, dans la matière réfléchie, sonne le glas des mots, des noms, des choses et des certitudes. Le soleil est au plus bas. Un souvenir vorace jaillit en même temps que crépuscule mordorant les berges, et un attroupement de gestes, de sens coordonnés et d'humeurs lourdes s'organisent en un cosmos soudain. Tous les animaux du territoire viennent s'abreuver au même point d'eau.