VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES



Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…


mardi 23 septembre 2008

FIAT LUX

Aucun corps, s'il est environné d'autres corps, aucun objet non plus, ne conserve une semblable couleur tout au long du jour. La lumière est forgée de lumières diverses, d'un corpus matériel et d'un autre d'ondes, qui la composent et la décomposent en permanence. Il y a ainsi une très belle séquence — tout de même —, sertie au milieu de Dans La ville de Sylvia, de José Luis Guerin, et où toutes les lumières d'une seule journée défilent en accéléré sur le visage atone du personnage féminin littéralement "chassé" par le personnage masculin. Version mouvementée de la façade cathédrale de Rouen selon Claude Monet, le visage-paysage du personnage subit un effet koulechov en un seul plan-séquence.

La lumière est volatile. Elle surfe et coule selon ses propres composantes comme l'image sur la surface glacée des miroirs. Sous le fard d'une seule couleur, ce sont toutes les couleurs qui sont peintes, dépeintes et repeintes alternativement. C'est ce qui nous touche, nous émeut et nous atteint dans la peinture des impressionnistes. Gilles Deleuze évoque chez eux une forme de peur de la couleur, une crainte à l'aborder pourtant. C'est pourquoi dit-il, ils subissent eux-mêmes leurs propres périodes de couleurs, comme les teintes "patates" chez Van Gogh — son parcours Nord-Sud pouvant également être considéré comme un banal Per tenebras ad lucem ?— Pour composer donc, il faut décomposer. Pour grandir, pourrir un peu. C'est la leçon que retiendra l'art pictural aux débuts du XXème siècle ; parfois ad nauseam, mais c'est une autre histoire.

D'où vient enfin que, régulièrement, l'on puisse demeurer ainsi, suspendu au mystère lumineux voire à sa sombre face : la fée électricité — c.f Contre-jour de Thomas Pynchon ou, différemment, The Dark Knight de Christopher Nolan —, et sans pouvoir se départir jamais de la certitude, à la fois diffuse et confuse, que cet air incolore du jour composant l'azur, loin des oaristys de l'aube et du crépuscule, semble bel, et bien, composé de clair et d'obscur comme, ici et maintenant, soi-même ?