VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES



Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…


mercredi 24 septembre 2008

ARS MIMESIS

Un écrivain se jette sur son lit les bras en croix. Il vient d'écrire le texte parfait. Une seule et longue phrase, une totalité, une suite cannibale de signes tenant dans sa joue mammifère toutes les choses, tous les noms, tous les êtres qui furent, sont et seront au monde… Un alpha et un oméga réduits à un seul tuyau, un seul flux, un seul troupeau de chèvres-mots tenus dans leur enclos. In petto, il ne peut s'empêcher de vouloir comprendre aussitôt comment il en est arrivé là : Finalement, s'exclame-t-il en silence ! Un à un, il décloue du mur les morceaux du puzzle qui font tableau, décrypte l'établissement liminaire des correspondances naturelles, des accidents existentiels et des références auxquels il n'avait pas songé. Il doit répondre de lui-même. Il se doit des explications et explore déjà à son texte en détail. Il remonte le cours touffus de son imaginaire avec le tranchant d'une pirogue sur le fleuve Niger. Il scrute les berges, s'emplit du ciel et se concentre sur le vent chaud qui s'écarte en V sur l'écueil de son front… Le titre de son texte est : Le Fakir ! Mais il ne sait toujours pas pourquoi ? Il raconte comment un homme arrive dans un village, trace un cercle dans la poussière, se déshabille presque entièrement, noue un turban rouge autour de sa tête et constitue aussitôt un attroupement. Il peut dès lors lancer une corde vers le ciel, y grimper lentement et y disparaître dans un nuage insoupçonné. De là-haut, un à un, les membres disjoints de son corps chutent lourdement sur le sol. Des enfants rient ou ont peur. Des chiens harets surgis de nulle part, coulissent entre les jambes des badauds et se jettent sur la chair fraîche répandue en holocauste. Une fois les bras et les jambes, la tête et le bassin déchiquetés puis renvoyés aux coins sombres du village sous les canines canines, deux veilles femmes surgissent pour nettoyer grossièrement la scène à l'eau claire. Le cercle des spectateurs s'est agrandi, et le nuage a soudain réapparu. Tout le monde lève les yeux et peut ainsi voir, le long de la corde, notre fakir redescendre avec son turban rouge noué autour la tête. Des enfants rient, les chiens aboient, et les vieilles femmes commencent de ramasser les pièces jetées par terre. Après les applaudissements de rigueur, la petite troupe repart sur la route en effaçant ses propres traces, juste suivie par quelques chiens mélancoliques. Le soir venu, le fakir se jette sur son lit les bras en croix. Regardant s'étirer au plafond les angles nuageux de sa chambre, il repense à cette journée et à son déroulement quasi parfait, juste et rythmé comme une belle et longue phrase. Un instant, il songe même à dire la phrase, à l'écrire quelque part. Mais une à une, lentement, chacune de ses pensées sombre désormais dans le sommeil le plus profond, comme si son corps entier s'enfonçait inégalement dans des clous…