VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES



Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…


jeudi 16 octobre 2008

CRÂNE OUVERT












(image d'Emmanuel Georges)
Le ciel vient de prendre cette très précise couleur de prune. La mer ne soigne pas que l'âme. Plate agitée voire violente, elle circonvient aussi certaines affections de la peau, qui sait adoucir les plis et les bosses du corps multiple. La certitude qu'une marée chasse aussi bien le spleen que la verrue plantaire, le varech que l'étron flottant, ramène lentement à soi puis les avale goulument, tous les petits sentiments, tous les misérables petits secrets, toutes les zones atiédies du cerveau lavables en machine. Sans soigner, sans cautériser, au-delà du remède la mer est cette circonscription de symptômes. Elle fait parler le silence, qui transforme une lourde enfilade d'idées noires en simple rumeur de rivage. Comme aux falaises blanches les blocs de calcaire, qui finissent par coïncider là roulés en granulés minuscules, la mer recueille les signes humains qui tombent, séparément et ensemble, depuis des millénaires encochés sur l'Arbre. Il n'y a rien à dire de la mer. C'est elle qui parle en permanence. Son écriture déchiffre les paroles gelées, les images embuées depuis trop longtemps dans un tremblement pleutre mais tenace que l'on appelle aussi mal de tête, amertume ou mélancolie. Rien ne nuit à regarder la mer qui passe, lasse et s'efface. Vaste crâne en fusion, bouche sombre et fécond estomac, l'eau en mouvement, l'eau sanguine, l'eau sans cesse est un théâtre intempestif, une dimension d'éperdu dont le miroir est simplement plus large que nos têtes.