VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES
Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…
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vendredi 4 juillet 2008
ÉCONOMIE DU ROMAN
À l'instar du capitalisme, le roman est une force technique pure, brute voire brutale. Il peut tout et il s'en gargarise ; parfois jusqu'au vomissement. De toute chose et de chacun pouvant faire du grain à moudre, le roman est une mécanique, une marque déposée, une butin de guerre. C'est un grand sac en toile capable de transporter des grains de blé comme des armes à feu. S'il est du genre moulin, il ne sera pris d'assaut que par son meunier même, celui aux mains faussement blanches. Par-delà bien et mal, sans aucune morale, le roman est ce domaine de la nuance où toute idéologie doit être sécable, comme dans la démocratie ou dans l'économie. À la fois moyen d'action et résolution de l'action, à la fois flèche — carquois de flèches — et cible, à la fois grain à moudre et pain noir, le roman est un archipel dans une mer fermée. En même temps qu'un magnifique moteur marchant aux mots, en même temps qu'un cheval de course lancé au galop, en même temps que trois fois rien le roman est aussi un horizon d'attente ; ou plutôt cette attente-même. C'est pourquoi le roman est toujours de son temps. Et pourquoi il vaut mieux accompagner son mouvement, quitte à garder son propre rythme. Nul ne peut lire un roman au rythme exact où il fut écrit. Le roman gardera toujours une part de son mystère, mais ce qui nous dépasse n'a pas lieu d'être sanctifié. Au lieu de feindre d'en être les organisateurs, auteurs et lecteurs ne devraient porter le sac romanesque à l'épaule que pour mieux voir de quoi il s'agit ; qu'est-ce qui s'agite en lui, nous concerne, nous discerne, nous dispute et nous pèse avant de nous quitter. Sac plein ne demandant qu'à se vider. Abcès de pus et de parfums. C'est la hotte du Père Noël, du colporteur, du marin, du maraîcher… Faire du roman un objet ou un enjeu ne signifie donc pas se laisser faire par lui. Le roman est un sac à question. Sa forme la plus courte, ne pourrait-elle pas n'être qu'une seule et simple question. Une ligne, une langue, ici questionnée et pour ce, retournée sur elle-même, recourbée en l'air en guise de ressort, et décrivant dans l'œil une onde de déport, une pente à suivre le plus horizontalement du monde. Un capital à dépenser. Un mouvement, disait Luigi Éden-Théa, mais avec des idées du devant la tête.