VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES



Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…


samedi 31 mai 2008

AUTOBUS PLEIN

DE NOS FANTÔMES HANTÉS.
Phrases décantées depuis cet ici et jusqu'au 21 juin…



Nos fantômes balnéaires ont-ils quelque chose à faire de l'avenir ? Ne passent-ils pas à travers lui comme à travers les murs ? Pourquoi ne nous semblent-ils se passionner que pour le passé, pour ce présent dépassé qui pourrit lentement dans la brique des crânes, dans les objets émoussés, les miroirs décatis et les façades trop mélancoliques ? Véritables paraboles ambulantes, nos fantômes s'avancent yeux fermés et mains tendues. Flottant autour d'une armature de gêne, leurs corps sans prise ne rêvent que d'incarnation sanglante et de chute newtonienne sur le sol, de roulés-boulés dans les oyats, de séances de baisers dans les dunes, de parties de ballon ou de bains de minuit… Toutes choses minuscules, impalpables, serties comme l'or dans la masse océanique de nos regards, et parfois réverbérées par la blancheur de l'écume, par cette matière instable qui s'élève en dansant au-dessus des vagues qui avancent. Couverts de ces embruns mêmes, nos fantômes se promènent sur le front de mer en baissant la tête. Leur temporalité paraît être suspendue au croisement de deux routes, au frottement de deux réalités qui toujours les portent vers la plage, l'horloge horizontale, le grand sablier mouvant. C'est là qu'ils sont nés et là qu'ils mourront. C'est là qu'entre marées et saisons ils errent et se consument, se croisent et s'ébattent ; parfois se régénèrent. Rien mieux que la rencontre des éléments contraires ne les manifeste ainsi au monde des Hommes. Épris de brume et de crépuscule, on peut les voir, hors saison, errant sur les rivages à contempler le fracas des lointains venus s'époumoner. Leur faible masse ne laisse que des amorces d'empreintes sur le sable. Éclats de sable, châteaux de rires, ciels mouillés et marques blêmes laissées par le maillot de bain, elles ne durent que ce que durent les stances du quotidien. Fidèles petits chiens gris, leurs questions indéfinies s'ébrouent tout autour d'eux, n'aboyant qu'au passage des silences intérieurs. Dans les villas des alentours, amuïs, meubles et lustres, candélabres et bibelots sont quelques fois recouverts d'un semblable drap blanc et plissé. Nos fantômes intérieurs savent-ils seulement qui ils sont, où bien se contentent-ils de telles vêtures de carnaval ? Ont-ils la pleine conscience de ce qu'ils font, à récolter ainsi sur le rivage des coquillages diaprés également appelés souvenirs ? Déformés par la ritournelle du calendrier, par le manège des apparitions humaines, sur leurs visages ne gisent peut-être que d'amers sourires ? Depuis toujours nos spectres du balnéaire évoluent dans le peut-être, dans l'entre-deux, dans l'équivoque et la laisse de mer. Qu'ils se manifestent à nous dans les clignements du rythme scolaire, au cours des week-ends prolongés ou le long des saisons estivales ne signifie donc pas que, le reste du temps, ils disparaissent du paysage. Perclus de petites morts répétées, d'abandons symétriques rimant avec la fin des vacances, ils ne répondent pas moins présent tout au long de l'année, vaguant en petites nuées lâches sur les plages abandonnées. Ils ont appris à vivre sans nous. Ils connaissent nos habitudes et nos traîtrises, nos petites présences et nos longues absences. Composant depuis des lustres avec nos vacances, ils passent leur temps libre à regarder se répéter la mer ; infiniment. Hantés par nos absences et gavés d'espérances météorologiques, ils mènent à terre des vies de maritimes. Ils tricotent des toiles d'araignées, dessinent des fresques à la rouille, cultivent des herbes folles et récoltent le bon grain comme l'ivraie du bois flotté. Ne sachant que trop ce qu'ils auraient à craindre, ils se moquent bien de nous faire peur dans le silence ou dans le noir ; tout au contraire qui se réjouissent, en nous voyant rappliquer chiennement au moindre signal du soleil. On ne peut certes que les deviner, les entr'apercevoir, les sentir ahaner dans notre dos lorsqu'on arrive, rouvrant placards et volets. Mais ils sont bien là. En veille sur nos épaules tels des papillons de proie, prompts à chasser la fleur du présent dans leurs filets diaphanes. Même si leurs chaînes sont celles d'esclaves qu'ils traînent en tremblant, c'est tranquillement qu'ils marchent à nos côtés. Prisonniers du sablier où s'écoulent nos vies - à savoir la leur -, c'est avec un étale espoir qu'ils vivent et respirent, mangent et croissent, meurent et se multiplient dans les alentours. Car qui peut encore bien songer que nos fantômes soient éternels ? Qu'ils n'appartiennent pas au même univers que nous ; celui des atomes déclinants et des galaxies lointaines ? Ils ont notre humeur, notre odeur, notre poids exact sur cette terre. À travers nous corruptibles et prégnants, ils sont et ils demeurent des êtres mortels. Sous le sable, bientôt, n'auront-ils pas le même masque que nous ? À travers ce sang qui bat à nos tempes et rebondit sous nos pieds, ils vivent dans la seule crainte de l'oubli, de la disparition totale, d'une fin définitive et injuste dans un quelconque trou noir du paradoxal quotidien. Ne voyant pas de quel côté se trouvent les Enfers, nos fantômes ne veulent pas être chassés de ce pseudo-paradis qu'est le purgatoire des plages. Ils ne veulent pas être rayés du Livre de nos vies ; c'est-à-dire du présent et du passé en même temps. Tenant à nous comme le lierre et le salpêtre aux murs, ils ne veulent pas quitter les limbes marines de la mémoire. Ils n'aspirent qu'à demeurer là, sages comme des images. Ils veulent attendre, année après année, que nos retours les délogent du sable glissé entre les lames du parquet, des gangues de naphtaline collées aux vêtements de toile cirée, des cornes indélicates faites aux pages de livres rongés par sel et l'humidité. Comment pourraient-ils vouloir nous perdre, nous éloigner si peu que ce fut quand ils ne cessent de chuchoter nos noms en notre absence, de redessiner du doigt nos gestes ordinaires ? Comment ne pourrions-nous pas les hanter alors que nous sommes leurs souvenirs, leurs formes spéculatives ici-bas ? Voilà pourquoi c'est tout à la fois leur joie de nous revoir et la peur de nous reperdre qui, à chaque fois, fera craquer le plancher lorsque nous entrerons, soulèvera la poussière au milieu de la pièce close, fera choir un objet dans le noir, bouger un cadre ou un rideau. Ce sont leurs mêmes sentiments qui, ailleurs, au loin, nous traverseront comme l'éclair, faisant sauter l'un de nos nerfs, frémir notre nuque ou se dresser notre pilosité entière. Les tenant en respect comme des enfants sauvages, des contrebandiers ou des naufragés exsangues, n'y a-t-il rien mises à part quelques photographies, que la vie comme la mort, pour l'amour de nos fantômes hantés, ne puisse ainsi faire ?