VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES



Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…


samedi 7 mars 2009

UN HOMME DE DOS II





Le ciel vient de prendre cette très précise couleur de prune. Et l'homme, de dos, son visage absent, regarde la mer. Confondus dans un geste tout ensemble d'une extrême banalité et d'une profonde mélancolie, ni l'un ni l'autre du paysage et de l'homme ne nous regarde, et pourtant on ne peut faire autrement qu'y penser ! que se projeter dans le gouffre de ce dos qui fait face qui fait écran entre la mer et nous, entre eux et nous, lui et nous. Une telle absence, blottie dans l'harmonie d'une fin de journée, alanguie, est là possible comme une invite. Quelque chose commence au moment même où tout semble finir, et qui bifurque "tout droit" par a-coups d'aventures minuscules, par suspends d'imaginaires entre vaguelettes, entre ces lèvres minces ravalant la lumière comme une salive excitée et faisant vers l'intérieur ; à jamais. On peut se perdre en pareil dos, dans ce paysage avec dos, ce dos-écran ne portant un crâne que par défaut. Le monde absent de cette modeste tête nous parle comme un monde. Il n'y a pas de plus présente pensée. De présent, mieux pensé. On pourrait se mettre à flotter, à errer et naviguer à vue avec tel dos pour esquif ; endosser cette absence. Mais cet être sans visage, cet homme de dos, cette face face au paysage deviennent tellement ce qu'ils regardent là ! Ils collent si parfaitement à ça dans notre esprit qu'ils sont devenus ce qu'ils regardent. Il est là cet homme, de dos, à l'affût et c'est n'importe qui qui devient homme du paysage. Celui par qui le paysage surgit, ses prunelles un peu vagues, celui par qui le regard arrive, roule sur la baie, monte, se redresse, bouillonne, mousse, se pourlèche et repart en arrière vers l'horizon… Il est là ! Il y est et il y reste comme le miroir de la mer. Il est mer et la mer est en lui, infinie. Petit à petit l'océan l'a gagné, l'idée éternelle de l'océan, l'éternité, l'ont gagnés. La réalité d'une idée est à l'attaque dans le fondu-enchaîné des ces couleurs et formes veloutées mais chargées de noir. Lentement, cet homme de dos, cette falaise humaine a troquer ses pieds de plomb pour des idées d'argile. Sa tête va bientôt tomber sur le sable. Un peu de sang brun se mêlera aux rinceaux de l'écume, faisant rouler sa tête dans une écharpe blanche et la repoussant plus haut sur la plage, jusqu'à ce qu'une autre vague, plus ferme, plus déterminée encore, la soulève et l'emporte définitivement dans un rouleau définitif et contraire, mettant fin à ce long et lent sacrifice. L'espace d'un instant, au loin, peut-être verrons nous encore flottiller sa tête amuie parmi les écailles de lumière bleu-argent de la baie agonie…