VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES



Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…


mercredi 11 février 2009

ÉTERNEL RETOUR DU MYTHE MÊME



Par hasard —s'il existe—, tu t'installes dans un salon de thé pour boire un café. Premier paradoxe. Tu regardes de plus en plus soigneusement autour de toi et là aussi, tu t'installes. L'endroit est charmant. D'un charme vague et précis, dont tu sens comme celui d'un visage, qu'il peut grandir avec le temps et l'être tout entier. Charme apparemment indicible, fait de kitsch et de bon goût à la fois avec, d'une part, des pastels fonctionnant les uns sur les autres jusqu'à la fusion oculaire, et d'autre part, des photographies anciennes rappelant la justesse de pages proustiennes… Tu n'as pas encore passé commande que déjà, tu aimerais revenir ici. Tu te vois faire ça : choisir ton jour, ton heure et ton sourire pour venir jusque là en passant par les mêmes rues qu'aujourd'hui, et en pensant aux mêmes choses aux mêmes instants. C'est un demain… Un après-demain… Une semaine prochaine qui pointe soudainement son nez frais, et désigne possiblement l'avenir de manière indifférenciée… Tu entends déjà le patron te saluer comme à la messe, disant ton prénom sans hésiter et demandant, à voix basse, "un earl grey à la violette, comme d'habitude ?" Oui tu viens à peine d'arriver et tu voudrais déjà revenir avec untel ou unetelle ! Avec N., dès ce soir… Avec P., de passage. Avec L., enfin de retour. Avec C., ou avec K., d'aventure. Tu te rassures en pensant à eux, au loin, assis dans un endroit aussi semblable qu'unique. Tout doit être beau et tout doit être bon ici, tu en es sûr. C'est un endroit comme on ne pense pas les découvrir, qui sont comme un cadeau ou un songe matérialisé par un autre et d'ailleurs, tu y crois à peine… Si, plongé dans la rugueuse existence de l'hier même, tu t'imagines un instant pareil endroit, café ou n'importe quoi matérialisé dans ton espace vital, c'est aussitôt vers Lisbonne, vers Londres, vers Amsterdam ou Buenos aires que tu pars non ? Car ton croyable ne peut être que songe, et perle fragile sertie dans la gangue ferme du plus tard, du plus loin ou du jamais… Le terrain de ce possible te paraîtrait systématiquement hors de portée, hors de propos pour ce toi d'hier et d'ici, qui ne sait jamais bien où se mettre ? Et pourtant, aujourd'hui, par ce hasard et cette envie de café tu viens de t'inscrire dans l'avant-goût du revenir ardent, dans le perceptible retour du même surgi à l'état gazeux entre de vieilles images, des odeurs de rose, de chocolat aux épices, des scones à la vanille et de grand-mères pas loin… Une ambiance de jardin privé, planté en plein milieu de ta chambre ou de ta bibliothèque. Une certaine chaleur mentale, de cendre rouge avivée à l'intérieur de soi. Le sentiment d'un futur atténué, d'un passé bienveillant. Le Temps castrateur, avec ses trois épées en bandoulière se sentant soudain repu, excisé de toutes ses menaces suspendues. Tout ton vécu ramené sous ses ailes, le présent devient alors ton présent, et dans cette compréhension que tu en as à l'instant même, qui porte la situation vers un carré de douce absence et de forte certitude à la fois.