Tout ce qui se passait du côté de son oreille droite prenait désormais des proportions un peu inquiétantes. Les sons du quotidien ni les rumeurs de la ville ne lui advenaient plus normalement, symétriquement répartis dans chaque oreille comme dans les jambes la marche. Au début très vagues, lointaines et comme épaissies de brouillards historiques ou géographiques, des choses de plus en plus précises venaient se loger dans la conque de son oreille droite, et jamais dans l'autre. Le médecin lui demanda s'il y avait des antécédents familiaux ? s'il avait des problèmes de déambulation ? s'il buttait parfois dans les trottoirs ou les escaliers ? s'il était récemment tombé ? Il lui demanda aussi s'il dormait bien ces temps-ci, et s'il se souvenait de ses rêves ? Enfin il lui conseilla de prendre quelques pilules, de dormir sur le dos et de consulter un spécialiste si les symptômes persistaient…
Mais c'étaient surtout des cris. Au début non, juste des bruits inquiétants. Mais maintenant ce n'était plus que ça. Des cris animal, des déchirements de gorge et au-delà, de corps entiers qui semblaient souffrir et se défaire, et dont les sons montaient se mélanger comme des liquides dans la vasque de son oreille droite. Un véritable vacarme d'abattoir, de bataille antique à cheval ou de guerre dans les marais. Et depuis quelques semaines il y a avait ces voix. Il entendait, clairement, des voix humaines et plaintives se hisser sur le monticule des cris atroces et informes. Cette nuit après les cris et après les déchirements, il avait pour la première fois perçu d'étranges et souples respirations. Des respirations humaines, portées à son oreille droite par un vent brûlant comme envolées des Enfers. Comme les échos d'un souffle certain, aussi lointain que la naissance et aussi proche que la mort. Et il avait beau se frotter violemment l'oreille en la rougissant de son auriculaire droit, mais les respirations y demeuraient ; vivantes. Et puis c'est arrivé. Et c'était ce matin. Comme les autres passagers du train plongés dans leur lecture, leur écoute MP3 ou leur pensée flottante, lui disparut soudain dans son oreille droite pour n'en jamais plus revenir. Une voix humaine, une voix venue de là-bas et qu'il connaissait bien avait enfin prononcé un mot. Un premier mot. Et ce mot était son nom.
VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES
Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…
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