VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES



Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…


lundi 29 décembre 2008

LE SYNDROME DE LIVOURNE, IV












(image d'Emmanuel Georges)

(…) Les frères mendiants importèrent avec eux des graines et des plantes médicinales inconnues dans la région, ainsi que ces platanes d'Anatolie, dont les larges frondaisons protègent des férules solaires. Les malades demeuraient confinés derrière des murs épais et blancs de la maladrerie. Ils se protégeaient dans des intérieurs sombres et humides, où on s'appliquait à les baigner dans des baquets d'eau de mer entre deux prières. Selon les travaux de Don Juan Bartolomé, médecin du Duc de Santander, passés vingt cinq ans la plupart des cas nécessitait une immersion définitive dans l'eau marine. Les malheureux concernés vivaient donc le reste de leur existence, dans des tonneaux coupés en deux que l'on faisait rouler à travers les vastes salles de la maladrerie. Les frères les surnommaient des Bassins de Vénus. Gorgés de liquide salé, les corps malades ressemblaient à d'énormes batraciens sans pattes, mi-humain mi-poisson, complètement bouffis ou ratatinés contre les parois boisées. Les visages étaient en permanence recouverts d'une gaze humectée, et on ne pouvait que deviner leurs yeux blanchâtres, délavés et exorbités comme des billes de céramique blanche. Tous les soirs — été comme hiver —, dès le dernier rayon du soleil envisagé on les installait au bord de l'océan, sur la plage, face aux embruns ; ils y passaient parfois la nuit à la lueur de feux épais. Par force dénudés la plupart du temps, leurs corps difformes avaient jeté l’anathème sur l’espace et le temps tout autour d’eux. Les habitants de la région faisaient rouler les rumeurs en cercles concentriques. Les malades devenant tour à tour et selon les modes et les coutumes : des anomalies, des fous, des diables, des pestiférés, des damnés, des fantômes ou des monstres marins proches des poulpes des méduses et autres calamars géants des légendes maritimes (…)