VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES



Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…


mardi 30 décembre 2008

LE SYNDROME DE LIVOURNE, V












(image d'Emmanuel Georges)


(…) De l’avis général, l’air et l’eau sont très vite devenus tabou tout autour de la baie. On apprenait ça tout petit. Tout le monde se se promenait au large. Les bateaux faisaient même des écarts. On ne se baignait pas. On ne pêchait pas non plus. La vie marine locale était réduite au minimum sur la presqu'île. Pour les habitants, tout était contaminé depuis longtemps par la présence séculaire des malades. Maudits pour les uns, ces lieux étaient un havre pour les malades atteints du syndrome de L. Un orgelet sur la paupière de dieu, disait-on. Aujourd’hui, la côte la baie la grève et sa presqu'île sont des appréciés et fréquentés de tous. Le petit port est industrieux et la commune florissante. Tous les ans, sur la plage de la Concha, il y a un même un fameux festival de jazz. Au pied des monts asymétriques, on entend désormais résonner le sabir des langues européennes. Même en cherchant bien, on ne trouve aucune anecdote sur ce qui s'est passé ici, juste en face des bars et des restaurants. La grande bâtisse blanche est — évidement — devenue un hôtel de luxe avec suites, terrasses, piscines, spas etc. Ne demeure aucune trace physique de tous ces malades, de tous ces corps, de tous ces fragments de vies qui firent l'humus de la nature environnante. Pas de monument. Pas de plaque commémorative. Pas la moindre empreinte sensible sous le sable des générations. Car de famille en famille et d'âge en âge, les autochtones ont conservé, toujours, la propre habitude de ne jamais venir ici en gardant par-devers eux un puissant devoir de partition entre le pur et l'impur. Eux se retrouvent de l’autre côté de la presqu'île, quasiment hors de la baie, à l’ouest du petit port de pêche et dans un angle très précis du paysage, d'où l'on ne peut voir l'ancienne maladrerie. Du reste, le nom de L. n'est ici jamais prononcé. Et celui de Frai Pavon gisait — jusqu'ici —, coupé en deux dans un tonneau rempli d'eau de mer, quelque part au-delà de cet horizon couleur de prune, dans les oubliettes de la mémoire qu'on dit collective. R.I.P