VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES



Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…


mardi 16 décembre 2008

COMME DANS UNE CHANSON DE SOUCHON, IV












(image d'Emmanuel Georges)


(…) Contraints, cartésiens, manichéens… Tous ses pensers à lui semblaient maintenant se heurter à cette fille plutôt qu'à la plage ou à l'océan. Sans le voir ni le savoir, cette modeste présence déconstruisait la sienne à une vitesse phénoménale. Il y avait à l'évidence quelque chose de l’ordre de la liberté qui s'imposait là entre lui et la mer, entre la mer et cette fille au chien. Elle transfigurait à elle seule la phase précédente du paysage, et semblait là comme éprise de rien d'autre que d’elle-même. Dans ce théâtre d'ombres et de lumières crépusculaire, elle paraissait simple et naturelle avec pour corollaires la vague, la dune, la voile amenée. Sa démarche, l'assurance molle de ces gestes, le ballottement de sa tête et finalement le relâchement complet de tout son corps au bord de l'eau, la désignait prompte à s’ouvrir à n'importe quoi de comique ou de tragique, comme la conque roulée sur la plage parmi les algues sèches et les mégots. Selon une mécanique simple et répétée de gestes antédiluviens, elle s'était relevée pour jouer avec le chien, lançant au loin un bâton torve courant derrière lui dans un sens et dans l'autre de la plage vide.
La vie du soir jouait un impromptu sur une rythmique de vagues. La baie prenait un air d'insoupçonné, de visage envahi, de soleil qui ne veut pas sombrer. Cette fille blonde vacillait dans les derniers rayons du jour. Elle était une bougie sur le rebord du monde. (…)