VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES



Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…


lundi 9 mars 2009

RATS COMME FLOCONS



Souvent c'est en marchant, disait Luigi Éden-Théa. Les mots me tombent dessus comme des flocons de neige, ou me remontent le long des jambes comme des rats. Beaucoup se retiennent en pentes sur les toits, s'accumulant en couches inégales et dans la tentation de se laisser aller à leur tour… ou nagent longtemps dans les égouts de ma ville en se gonflant de haine —même si je sais bien que la plupart d'entre eux voltigent dans une zone précise du ciel et des enfers, et que jamais ils atteindront le sol de mon crâne—, disait-il. Les mots dansent. Chacun danse un instant sur son aire, toujours prêt à statufier le réel sur pied, à ensacher la moindre sensation dans une gangue de sel et faire croire au reste du monde que oui, la moindre seconde est un paquet cadeau. Sans tourner une seule fois la langue dans leur petite bouche, ces mots, bien aiguisés, bien huilés et prêts à l'emploi sont là, en haut comme en bas, à l'affût. Ils ne demandent rien ? Ils ne demandent que l'impossible disait Éden-Théa. D'une manière infime —à la fois saisissante et mystérieuse— ils auront tôt ou tard la force d'exister, de jaillir des choses et de se redresser comme de vieux singes sortant leur gueule affamée des chenaux et autres caniveaux. Ils voudront faire rendre gorge à la vie, à tous les éléments de ma vie et à ce qui l'alimente en permanence depuis que le monde est monde, que le ciel est ciel, que le temps est paysage et le paysage temps… Les mots ne demandent qu'à lâcher prise, qu'à se saisir de la réalité quitte à lui sauter au visage au coin de la rue. Et à cause de moi, ils s'apprêteront toujours à faire corps, à consister et à demeurer. Mais les mots sont des perdants, disait Luigi Éden-Théa. Ils font cette gueule de guerre, montrant leurs crocs et leurs volonté d'enragés mais leurs mâchoires sont elles-mêmes de neige. Juste le temps de le dire, de s'énoncer eux-mêmes qu'ils auront déjà disparu, vivement effacés par la couche horizontale et spéculative suivante. Les mots dont je parle, seront amuis par d'autres mots, des mots silencieux volatils et fondants ; mes propres mots peut-être, disait-il ? Peu importe. Les mots crient sans cesse aux loups dont le nom est les mots. Des rats tombant en pluie et des flocons de neige remontant dans la nuit. L'espace d'un instant, ils ont eu et ils auront cette puissance bestiale, cette capacité d'injonction qui, parfois, fait cercle autour de moi ; enfin, ce que je crois naïvement être moi, être eux…