VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES



Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…


jeudi 12 mars 2009

PARADOXE OMBRAGEUX



Je fais toujours les mêmes rêves, disait Luigi Éden-Théa : Indescriptibles, décentrés, répétés à l'infini et pourtant toujours nouveaux sous la lune. Je les fais et je les défais tout ensemble et, en me réveillant, ne peux que constater que leur trame est aussi plissée que le tissus les draps où j'ai dormi. Je ne sais pas disait-il, la force qui m'y pousse est la même que celle qui m'en éjecte et me les fait oublier aussitôt. Je ne me souviens jamais de mes rêves, et pourtant je sais que je les rêve et qu'il s'agit toujours des mêmes ; une famille de rêves composites autant que composés. Il y des gens persuadés qu'ils ne rêvent pas ! C'est ce qu'ils disent, et c'est ce dont ils se persuadent comme ardents évangélisateurs d'eux-mêmes. C'est juste qu'ils ne s'en souviennent pas, ou bien qu'ils y résistent en sachant toute la valeur de leur combat. Pour ma part je crois qu'on rêve comme on se nourrit, j'en suis bien sûr. On rêve pourquoi et on rêve parce que… Et aussi que nous ne sommes pas libres, disait Éden-Théa. Nous ne sommes jamais libres et c'est cela que nous dit le phénomène du rêve. Pas les rêves ! Pas l'interprétation symbolique, phénoménologique ou psychologique ou quelque hic qu'on voudra des rêves, non ! Je veux dire le fait onirique lui-même comme on dit fait social ou fait religieux. Lui seul, décanté dans le temps et dans l'espace, se constitue et ondoie telle une planète en giration lente autour de corps allongés, assoupis, bouleversés par le sondage de leur propre nuit. La face cachée du cerveau n'est pas que l'ombre de la lune, disait Luigi Éden-Théa. Un projecteur transperce l'obscurité et vient en frapper les parois de fulgurances picturales, de traces et de lumières portées qui, paradoxalement, éclairent le feu de la vie. Je sais bien que c'est paradoxal, et que je n'y puis rien faire. Je suis un paradoxe vivant comme dit l'autre, mais je le sais. Et le fait est que si je ne me souviens jamais de mes rêves, je sais pertinemment que je les vis, en dormant. Ça me suffit, disait-il.