VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES

Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…
LE DERNIER COMBAT
L'étendue du doute paraissait infinie avec l'océan. Ses jours comme ses nuits étant habités par de puissantes ombres et les souvenirs d'un monde englouti, il n'y avait plus dans le chaos de sa tête qu'une seule et unique réalité possible : Les récifs, en face du Dingle. Antique posture du globe terrestre et appendice tectonique trilobé, cette postulation psychique éclatée de sa mémoire était seule capable d'envahir son corps entier, depuis la racine des orteils jusqu'au vent chassant dans les zones corticales. C'était sur ces pointes fines, sur ces stalagmites géantes que reposait désormais, en équilibre instable, son Saint-Graal ; défi pour tout ce qui restait. Trois îlots pentus, sertis entre deux nuits plus précises et profondes que des idées, formaient désormais la preuve que tout ce qui avait eu lieu jusqu'ici, tout ce qu'il avait fait refait et enduré par milliers de fois, ne l'avaient pas été en vain. Que c'était vrai ! C'était bien réel, et avait la forme le fond et le sommet d'un triptyque de pierres antédiluviennes, plantées-là en aiguilles dans un chaos permanent de vagues tout en spirales. Ces récifs, ce triangle de granit et de nuit résumaient l'étendue de son existence et le vertige de son doute. J'ai grandi aux bords de ces mêmes précipices, se dit-il. Il se sentait happé. Pris, aux épaules au ventre aux cuisses et poussé dans le vide. Ici les lieux agissent comme des dieux. Ils exercent une captation de l'âme, un exorcisme amoureux usant d'un philtre totalisant, mélange informe de paysage et d'éléments, de sentiments suggérés par vagues et de souvenirs d'enfance détissant leur brume natale. Un rapt, doux et violent. Une réalité-rêve qui monte et qui descend. Un diamant brut, divisé en trois dents de charbon. Triple signal de cette perfection gravée dans l'agir. Dans la vampirisation du maintenant.