VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES



Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…


dimanche 8 février 2009

DISTANCE : FUMÉE D'EAU


Le ciel vient de prendre cette très précise couleur de prune. La robuste et sempiternelle vague de 21 h15, scinde diamétralement la baie de la Concha en deux parts presque égales. Le temps de la dire, que déjà elle se rompt sur les hanches du baigneur puis sur la grève de sable martelé comme du cuivre tendre. Cette vague paraît bien être toujours la même. Chaque soir d'été. Ou bien alors est-elle Des vagues ? est-elle Les mêmes… Les vagues et toutes les vagues du monde, imagées et imaginées là en un ensemble tissé par une même ligne de front ? S'agit-il d'une structure universelle de l'événement, venant et parvenant sans cesser depuis les origines —sans compter ni faiblir—, aux tempes humides et fiévreuses de tout homme, intimement penché sur le paysage comme à travers la fenêtre ? Est-ce enfin, d'une seule ligne d'une seule, la phrase désécrite de l'éternel retour, le lever le voile sur l'insaisissable de la réalité ? Seule certitude celle de la vague qui avance vers nous. Vers lui, vers moi et vers le monde terrestre. Une vague et ses échos, qui naissent, vivent et meurent en fine mousse perlée sur le rivage. Le baigneur, ses bras mollement retenus par la masse de l'eau, est-il bien capable de saisir toutes ces choses, d'eau remuante serti jusqu'à mi-cuisse et d'éléments aussi fixes dans le cadre qu'instables dans sa tête ? Peut-il seulement comprendre, en les embrassant de ses cinq sens grands ouverts, les multiples fragments de la situation et les prendre en compte, ici et maintenant, sur le fil tendu d'âme de cette ligne blanche qui avance, chaque soir d'été, vers 21 h15, pour venir agoniser dans son dos et mouiller mes pieds ? Tous deux tentant maladroitement de justifier ce qui nous touche, lui demeure physiquement plongé dans l'océan comme dans le crépuscule, et moi, au loin, à distance comme du regard hypnotique d'un fauve, je demeure mentalement plongé dans une mer de sable, un carré de vague aux ondes parfaites, sans fin rectifié par le bras tendu d'un moine zen, crâne rasé, dont une ride seule, en deux parts presque égales, scinde le front !