VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES
Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…
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samedi 29 novembre 2008
COMME UN ÉCHO
Ce samedi matin je me suis levé un peu en retard, il est vrai, et je n'ai pas eu le temps de prendre de petit-déjeuner. J'ai glissé une clémentine dans la poche de mon blouson, et je suis parti vers neuf heures et quart, neuf heures vingt. Je devais aller à l'enterrement de C., beau-père de N. et de S, à dix heures au crématorium de La Robertsau. Mais je me suis trompé d'itinéraire. C'est un comble, mais j'ai loupé la correspondance. Je me suis retrouvé au beau milieu d'un quartier cossu dénouant au ralenti son écharpe de brume en soie, dégivrant les arbres de ses jardins privatifs et laissant dormir sur ses trottoirs Jaguar, Mercedes, BMW et autres Range Rover sans le moindre éclat de boue aux pare-chocs. J'ai dû faire demi-tour. À pieds, sur un bon kilomètre quand vers dix heures et quart j'étais encore entre deux bus, au pied d'un sombre clocher en briques ayant jadis été roses, et complètement perdu dans cette banlieue chic gisant au bord de l'eau, à une distance réglementaire d'environ un crachat depuis chez moi… Vers dix heures trente j'ai donc renoncé à mon entreprise funéraire, et attendu un bus quelconque en direction du Centre-ville. En changeant de trottoir, j'ai quitté l'ombre triste du clocher et j'ai dû faire face à un rayon de soleil virulent pour l'époque. Une lumière et une chaleur précises, parfaites, qui remplirent soudain mon visage avec leur entonnoir. Le prochain bus était pour dans quinze minutes… Je me suis assis sur les marches d'une banque, juste derrière l'arrêt de bus. Et c'est là que j'ai mangé ma clémentine. En défaisant sa structure astrale, en éclatant sa chair dans le sens de la division préformée j'ai essayé de me souvenir de toutes les fois où j'avais pu croiser le défunt. Et voilà l'étrange c'est que j'y suis presque parvenu — je le connaissais peu il est vrai ! C'est drôle, tout de même, ce terme de connaissance que l'on emploie parfois pour parler de gens ? J'ai donc pensé à lui, à C. durant ces quinze longues minutes me séparant du monde ; de mon monde à moi. Depuis qu'il était mort cette semaine, j'ai probablement plus pensé à lui que toute sa vie durant. Mais en terminant ma clémentine et en allant jeter sa peau dans la poubelle de l'abribus, j'ai surtout pensé que s'il était mort, c'était la preuve que moi, en ce samedi matin 29 novembre 2008, je ne l'étais pas.