VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES



Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…


mardi 28 octobre 2008

ANAMORPHOSE

C'est-à-dire qu'on commence souvent par regarder le ciel. On s'émerveille de l'évident, des moindres réverbérations de la lumière sur un petit bout de la Terre. Que ce soient les modestes fleurs au bout du jardin, les ailes en vitrail des papillons, les rayures savantes des tigres ou les vagues algébriques sous la lune… Quels qu'ils soient, les atours du soleil rendent sur la planète et à chaque heure, leurs meilleurs effets pour celui qui les veut voir, veut les recevoir ou les étreindre l'espace d'un instant. La lecture d'un ciel n'est qu'un infini remesuré sans cesse, depuis des lustres les lustres. C'est ce petit matin — Lorraine — à la frontière luxembourgeoise : Un brouillard commun découpe au scalpel chaque pré, chaque bosquet, chaque façade et chaque puzzle de vache. C'est un après-midi sur le plateau de Maubec — Isère — : Un nuage d'acier tombe d'un bloc au centre exact de la plaine, transmuant sa pluie d'averse en filets argentés sous l'équerre d'un rayon lumineux. C'est un soir en Bretagne, en Espagne ou en Corée du Sud, l'aspect duveteux d'une peau de fruit peinte au pastel sur le ciel, qui décante ostensiblement toutes les issues possibles d'un bleu au crépuscule, gravant à jamais dans la mémoire une très précise couleur de prune.

C'est-à-dire que soudain les choses prennent ensemble un relief de sincérité très particulier. Abolissant d'un coup les diatribes assourdissantes de ces opposés réducteurs de têtes que sont les couples jour et nuit, clair et obscur, beau et laid, vrai faux et cetera… Sans se métamorphoser tout à fait, les choses tournent alors leur apparence de manière à révéler quelque nature un peu plus profonde, de manière à suggérer des strates et des nuances comme d'un puits sans fond gisant en chacune d'elles. Un alphabet de formes et de couleurs fait soudain balcon sur fragment du monde. Se produit un abaissement simple des éléments du paysage face auquel on se trouve, et qui de toutes parts s'exerce pour soi seul, ou presque. Le monde sensible se ressent transversalement. Au fur et à mesure que le sentiment nous en monte au front, et alors que tout à l'entour semble descendre, on sait, on sent, que l'on pourrait presque y toucher soi-même. Tremper sa main dans la coulée continue du couchant, dans le vif-argent de l'averse ou le mixage cortical du brouillard devient du domaine du possible. Le pinceau des cils semble pouvoir tourner dans chacune de ces couleurs couchées au couteau sur les paysages. Ce qui de loin paraissait une vaste tache de couleurs, se métamorphose en une forme précise et simple au fond de l'œil.

Cette injonction de l'instant, fait retentir un battant de cristal dans la grotte épaisse du crâne tapissée d'images, de rhétorique narrative et de pollutions contemporaines. Il y a retentissement et tentation. La lente et fragile composition du tableau muet devient une véritable transfusion de sens, et son goutte à goutte agit en aplomb de chaque pore de la peau. Au cœur de la profusion des éléments, un noyau plus dur encore tend le miroir de son écho, qui se rapproche et fait un signe de la main. Un morceau du puzzle se départit de l'ensemble, se disloque du squelette de l'heure et s'étend tout entier en nous. On n'est plus qu'écoute, forme creuse au milieu de l'océan des choses. N'attendant rien de précis, rien de nouveau ni d'excentrique, tout apparaît comme possible et dicible à l'instant même ; à lui seul proliférant et profitable. Ce creux d'attente n'est autre qu'une trace, une empreinte vraisemblable comme ailleurs une trame romanesque, une île origine ou un moulin à vent. N'attendant rien du tout, le tout fragmenté peut donc se prendre comme il vient, et découler là dans le sens de l'écoute hasardée ; sensations et bras tendus vers l'extérieur, vers l'envers de soi. Tout entier étendu dans le vertige horizontal du pré sans bornes paysager, les choses deviennent propices à une sorte d'intelligence de l'instant. L'émerveillement devant le monde, la lente invocation des choses muettes, l'orbe du sens global, l'éclair de la seconde simultanéïste est une présence considérée. Quelque chose nous dit : je viens, quand en face quelqu'un dit : j'écoute