VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES



Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…


mardi 26 août 2008

LE PETIT ROI AU BOUT DU DOIGT

Le roi de rien du tout est tout petit. Il est si petit qu'il tiendrait sur le bout d'un doigt et même, sur le bout du bout du plus petit de tous les doigts. Il est si petit, que la plupart du temps on ne le voit pas. Les gens et les bêtes, les histoires et les géographies, les systèmes et les planètes, le monde en entier tourne tout autour de lui depuis toujours, mais ils ne font que l'effleurer. Le roi de rien du tout est le centre et la circonférence de son royaume. Il est comme une petite pomme, rouge et verte, dorée à l'intérieur et posée sur un plateau au milieu du désert. Certains doutent de son existence au prétexte qu'il vivrait auprès de chacun de nous, au bout de l'un ou l'autre de nos doigts… Et voilà pourquoi on a finit par se demander s'il ne vivait pas que dans les têtes ? Un petit roi de rien du tout, dont le royaume est partout c'est-à-dire nulle part. Un roi-plume, qui peut naviguer dans des boîtes d’allumettes, voler sur des tickets de métro, rouler sur des boulettes de papier et s'accrocher comme il veut à nos cheveux, à nos basques, à nos souvenirs ou à nos rêves. Un petit rien libre comme l'air, libre de ses pensées et de ses mouvements,mais qui ne le sait pas.

Personne ne peut dire qui il est ? D'où il vient, ni où il va ? C'est comme ça. Il y a ceux qui disent qu'il est tombé d'un chapeau ou de l'aile d'un oiseau… Ceux qui croient qu'il a grandi sous l'ongle d'un géant, dans une coquille de noix ou au fond de la poche d'un mendiant… Lui, qui ne dit jamais rien, nous parle d'un silence qui a toujours été là. Une seule chose est sûre, c'est qu'il est roi, même si personne ne sait de quoi ? Il n'a pas de pays, pas de frontières, pas de cour et pas de drapeau… Il n'a pas de traîneaux, pas de belles autos, il n'a pas d’écurie remplie de chevaux de toutes les couleurs… Il n'a pas d'armée, pas de chars d'assaut, pas de château fort et pas de long manteau… Le petit roi de rien du tout n'a pas de trésor, pas d'argent, pas de pouvoir, mais il n'a d'ennemis que ceux qui envient son sort. Plus étrange encore, il n'y a pas de petite reine à ses côtés, pas de petites princesse ; et il n'a même pas la moindre petite couronne à se mettre sur sa petite tête. Rien ne lui appartient mis à part les cercles d’air qu'il respire, les miettes de pain tombées du ciel et les gouttes de pluie dont il se nourrit tant bien que mal. Rien n'est à lui sinon un petit sac de poils et de papiers déchirés avec lesquels, chaque soir, il fait son petit lit. Il ne possède rien, mais il est capable, avec quelques touffes de pollen, de se tisser des habits pour l’hiver, avec quelques pépins, de se faire un petit jardin, avec de la poussière se fabriquer des objets de toutes sortes… D'une brindille, il peut faire naître toute une forêt, et dans un grain de riz tailler une statue de marbre. Nulle doute qu’avec une vieille épluchure de pomme de terre il pourrait réciter la genèse de l'Univers… Le roi de rien du tout ne possède rien, mais il peut croire qu'il a un peu de tout.

Il se déplace sur le dos des animaux nomades, entre les doigts de pieds de ses grands frères humains ou bien sur un simple courant d’air. Il débarque chez les gens par une fenêtre ou un esprit entrebâillé. Pour de plus longues périodes, il s'installe entre les lames de parquet, dans le fond d'un tiroir, dans les plis d'un fauteuil ou les pages d'un livre déjà lu. Là, il peut à son aise se construire une petite cabane avec de minuscules détritus et attendre, confiant, le fruit de jours meilleurs. Menant alors une vie d'animal domestique, il cède son royaume au goût de l’avenir, et se contente d'élever des colonies d'acariens sur quelques millimètres carrés…
Il aura certes besoin de plusieurs semaines pour traverser tout un appartement mais, un jour ou l'autre, il retrouvera le chemin du vent et l’aspiration des fenêtres ouvertes pour repartir comme il était venu, sans que personne, jamais, n’ait même envisagé sa présence de rien du tout dans les parages ; dans les pages perdues au bout des doigts…