C'est contradictoire avec ce que je vais dire mais, le temps me paraît toujours trop court dans ces cas-là, disait Luigi-Éden Théa. C'est comme s'il n'y avait plus de consolation possible pour personne. Je passe des heures à ne rien faire. À simplement fermer et ouvrir mes pensées mes mains et mes yeux sur ce rien faire-là. Et puis, au moment de saisir quelque chose, d’en extraire un suc quelconque, de saisir un brin du monde fut-ce avec des pincettes et à travers les barreaux rigides de l’habitude, là, au lieu d'être vigilant et de refermer avec détermination mon poing, le regard comme l'esprit et comme un seul homme se mettent systématiquement à dériver. Ils font le tour de la phrase, de la scène ou de la description comme on ferait celui d’une maison ou d’un parc. Ils font le tour des choses présentes dans chacune des pièces de la maison, dans chacune des allées du parc ; voire des choses qui n’y sont pas, qui n'y sont plus ou auraient pu y être en d’autres temps, en d’autres lieux… Ils fantasment ou plutôt : Ils fantômatisent la situation, la rencontre.
S’ils s’arrêtent, c’est apparemment de manière anarchique sur des détails qui, pour tout autre — y compris pour un autre moi-même —, sembleraient plus ou moins identiques. Et ce n’est qu’au prix d'un ridicule effort que, chaque fois, s'ils parviennent à me faire reprendre mon souffle mental c'est en s’attaquant précisément de front à ces détails mêmes. Ils tentent d'abord de les disséquer avec méthode, mais dans le désespoir certain ne ne jamais encontrer l'os ils finissent par s'acharner sur ces minuscules cadavres, et par tous les éviscérer de haine avec un acharnement proche du crime et du néant d'où ils ont surgi.
C’est là le prix à payer pour que je puisse continuer ma lecture, disait Éden-Théa. Comme l’on sort d’un tunnel, d’un souk incolore, inodore et suffocant, c'est ainsi que je sors de ces phrases, de ces phases livresques qui, visiblement me touchent comme les psores et les microbes de l'air. C'est là que j’en viens à revenir, et à oublier tout dans le même instant pour repartir sur des rails courbes, disait-il. Si ça me parle, si quelque chose ou quelqu'un me parle disait-il, comment s’étonner, sans sombrer dans une vertigineuse mésestime de soi, du fait que je lui réponde au creux de pareilles sources d'absences ?
VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES
Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…
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