VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES



Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…


samedi 28 mars 2009

PREMIÈRES NOTES SUR L'ÉNUMÉRATION


Si l'énumération est consubstantielle à la naissance de l'écriture, elle l'est donc aussi à celle de la littérature. Les premières traces d'écriture dans l'argile voulaient saisir un nombre, celui des troupeaux, des biens meubles et agricoles des antiques paysans mésopotamiens. Leurs nombres de vaches, de chèvres, de boisseaux de blé, d'orge ou de foin n'étaient donc que des énumérations du même ; un certain nombre d'identiques devait forcément accoucher d'un nombre d'identiques sûr, et certain. C'est donc d'un besoin de dénombrement scrupuleux des biens que naquit l'énumération. Les premiers écrits sont des accumulations, des empilements horizontaux de barres, de traits dans l'argile, instinctivement reliés à une pratique visuelle, un usage de la rétine et un soutènement impeccable de la paupière. Ce qui m'appartient est ce que je peux inscrire dans mon regard, puis sur l'horizon de mes tablettes. La fixation des biens dans des argiles mous séchés au soleil comme de vulgaires bouses de vache, intervient le jour où le nombre des vaches n'entre plus tout à fait dans l'espace des yeux ; lorsque le troupeau s'agrandit, qu'il se mêle trop régulièrement à celui du voisin, et que le doute s'installe précédant ou rappelant le conflit. La tablette et ses alignements de barres verticales permettent de visualiser le troupeau, de lui donner une existence symbolique sans qu'il soit pour autant besoin de la rompre. L'écrivain moderne ne fait pas autre chose, qu'il s'agisse d'énumérer le nombre des péchés capitaux ou la vertu suprême de l'Aleph de Borgès ( p. 210 ). Il s'agit de faire entrer dans l'espace mental tout ce que les yeux seuls ne peuvent pas "physiquement" contenir, mais que leur qualité cinématographique d'auto-projection, de projection interne et intime peuvent réifier ; acméïque p.ê. dans La Bibliothèque de Babel ( Pléi. p. 494 ). Dans Mes Départs, suite de courts récits autobiographiques Panaït Istrati tente de cerner ce qui sépare l'homme brutal par nature de l'enfant fragile par essence : « Comment saurait-elle, cette face bestiale, que l'enfant est un début de vie friand de la lumière du jour, du bruissement des arbres, du clapotis des vagues, de la brise caressante, du gazouillement des oiseaux, de la liberté des chiens et des chats qui courent la rue, de la campagne embaumée, de la neige qui le brûle, du soleil qui l'étonne, de l'horizon qui l'intrigue, de l'infini qui l'écrase ? » Tel un nez sur la vitre, cet écrasement terminal, ce dernier barreau de l'échelle ouvragée ne pouvait mieux clore l'énumération proprement sans fin, d'une fracture psychologique humaine plus proche du trou noir que de l'abîme.
La page, la tablette donnent à voir les biens réels du paysan méspotamien comme ceux fictifs des personnages, mais dans le cas littéraire elle atteste des capacités de l'auteur ; ses biens propres d'écrivain. Mais dans cette volonté de puissance évocatrice, bien souvent l'écrivain de littérature s'il s'abandonne volontiers au démon de l'énumération, finira toujours par justifier la longueur de son texte sur selon des arcanes de rythme, de règles, de correspondances ou de textures qui le verront achopper sur un point de ponctuation n'ayant de final que le nom. Le fantôme de l'énumération vêtu d'une traîne infinie, sa corpulence diaphane se fondra par dépit dans le purgatoire d'un interligne. Et c'est à un aveu de d'impuissance que rime en définitive toute tentative d'énumération qui, visant la totalité - la vision totalisante -, finit par se mirer dans l'étroitesse d'un rétroviseur ( c.f Tentative d'épuisement d'un lieu, de G. Perec voire, l'aleph borgesien ? ) L'énumération est et demeure depuis les origines, selon la différenciation un acte apollinien et jamais dionysiaque.

Il y aurait à priori deux types d'énumérations, la finie et l'infinie, que l'on pourrait symboliser par le cercle et la ligne ; si l'on considère que le cercle en est la forme aboutie, et la ligne la forme inaboutie. L'énumération cyclique c'est celle de l'écrivain - de l'écrivant ou écriveur : chimiste, géographe ou poète -, qui parvient à dire ce qu'il veut dire en en faisant le tour. Voulant cerner au mieux son idée naissante, vacillante comme un flamme chantournée par l'air, la lumière, il ramène une à une des pierres autour du feu, et finit par en circonscrire le foyer dans l'œil de son lecteur. Paradoxalement, cette manière cyclique a l'allure et l'avantage de la règle, de l'ordonencement particulier. Le cercle, même imparfait, parvient peu ou prou à faire le tour de la question posée ou suggérée par l'étincelle-origine de l'énumération. Il s'agit de faire une révolution, d'établir une base, un fondement comme Romulus établissant son sillon, qui permet d'aller plus loin, de partir définitivement ; c'est-à-dire de ne plus y revenir. En revanche, l'adepte de la manière linéaire est dans l'attitude du fil-de-fèriste, qui va tout certes droit, mais sans savoir pourquoi, accompagné de quelques applaudissements et de maigre monnaie. Il ne peut que subir son incapacité, par une volonté accumulative, une sauvagerie miniature, une fouille déréglée de ses poubelles mentales sur le champs de sa phrase. Il tente, mais il n'y arrive pas. Cette forme déceptive, si touchante qu'elle puisse parfois paraître, peut néanmoins agacer la lecture lorsqu'elle fait plus penser au rebut qu'au collage ; mais surtout elle n'exclue pas le retour. L'idée-source, l'étincelle-origine n'est pas totalement éteinte, et risque de faire retour plus loin voire dans la foulée, étouffant dans l'abondance des frondaisons, ce qui fondait l'arbre en terre. L'énumération ne devant jamais être une répétition, mais un "long-circuit", qui fait sens. Ex : La première phrase du livre de Fatou Diomé, Le Ventre de l'Atlantique, avec son énumération de verbes conjugués voulant décrire en une phrase, trop d'actions d'une partie de football, et prêtant à sourire plus qu'à cerner justement.

Petite mythologie barthèsienne de l'énumération chez Barthes ( notamment dans le fameux et symptômatique "J'aime / J'aime pas", du Barthes ar lui-même ), et chez ses élèves ( par ex. Colette Fellous qui, d'ailleurs, lorsqu'elle cite un livre à l'antenne, en cite toujours ou presque des énumérations ).

Critique de l'énumération par le biais de la classification ; c.f M. Foucault au début ( ? ) de Les Mots et les choses, c.f Les Classifications zoologiques dans la Grèce Antique, Presses Univ. De Provence.

La beauté - indépassable ? - des énumérations a-téléologiques de Sophie Podolsky dans Le Pays où tout est permis, p.p 120/121.

Finalement un blog ?

(à suivre)