VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES



Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…


lundi 16 février 2009

ENCRE BLANCHE


J'aime la neige parce que, quand elle se pose sur le paysage comme ça, on dirait qu'elle choisit de révéler les choses, disait Luigi Éden-Théa. Elle semble avoir ce don de faire parler les éléments de la nature, ces choses visibles mais amuies, ces ombres sans soleil qui se redressent à son passage. J'aime la neige qui se révèle elle-même, texte fantôme enfermé derrière des barreaux noirs et blancs comme dans une estampe japonaise, disait-il. Les éléments du paysage sont un à un détourés par les couches de neige. On dirait de petites icônes dépassant d'elles-mêmes ; taches de papier sur du papier. La neige avance en profondeur. Elle fait monter tout en tombant. Les choses se redimensionnent sous nos yeux, le toit s'épaissit, le jardin se dédouble, chaque arbre déborde peu à peu d'un autre arbre, un arbre fantomatique comme une révélation photographique, un mirage. Et ce n'est pas ici qu'une affaire de raffinement, disait Éden-Théa. Il n'y a pas d'aboutissement ni de perfection sûre dans ces petites épiphanies floconneuses. J'ai le sentiment qu'il s'agit surtout de contrastes ! D'une contradiction à l'état brute, tombée durant la nuit et que l'aube émerveille d'une question neuve encore embuée de sommeil. Ce contraste, cet écart apparaissent précieux comme semblant immotivés. C'est là que la neige me touche, disait-il. Dans la clarté obscure de sa révélation par la fenêtre. Dans la boule humide et collante qui roule à l'envers dans le paysage mental. La neige d'aujourd'hui ne tombe jamais seule dans le jardin. Elle s'accumule aussi sous le crâne, dans ces zones aphones de la mémoire et de l'oubli. La preuve en est que même en image, même esquissée sur une mauvaise reproduction d'Hokusaï accrochée au mur d'une salle d'attente, je sais que j'ai toujours envie de toucher la neige, disait Luigi Éden-Théa. Envie de fringale, et de l'exprimer lentement entre ses doigts, comme un fruit mûr, un désir estival, un souvenir d'enfance disait-il.