VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES



Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…


mercredi 21 janvier 2009

PETITE ÉMOTION PÉTROGRAPHIQUE




Le ciel vient de prendre cette très précise couleur de prune. Au moment de quitter la plage, ses yeux tombent une pierre. Un œuf gris perle, aplati, que l'on peut faire tourner entre ses doigts. Son contact est infiniment agréable. La pierre a conservé la part moelleuse et chaude du jour, et sous sa forme atténuée de jardin simplifié, gît la fontaine d'un soleil amoindri. Avant de rouler dans sa main, elle s'est laissée lisser au contact des siècles et des tempêtes, des milliers de marées et d'éboulements, des morts lentes des falaises et des naissances, au loin, des chapelets d'îles désertes. Cette petite pierre est la preuve vivante d'un combat féroce et fondateur, d'un roulement perpétuel des rythmes géophysiques qui trouvent leur forme définitive dans l'atoll de chair humaine qui la soupèse, la fait soudain flotter dans les éléments inconnus que sont l'air, le ciel, la couche suspendue de l'Univers où brille et sombre dans les zones langagières le nom sacré de pierre. Son volume semble fait pour les reliefs de la paume. C'est comme si, en la touchant, en la prenant elle devenait aussitôt précieuse, ouvragée, voire digne d'être chantée. Il y a des vagues fixes qui valsent, dessinées, à sa surface polie. De grosses et blanches veines qui tracent des deltas, des rivières et des bras morts où pourraient se perdre des expéditions coloniales, des voyageurs romantiques et des regards curieux. En y regardant de plus près, elle n'est que courbes, lignes méandreuses rappelées de la mémoire de fleuves avançant dans les strates calcaires des paysages d'amont. Un savant réseau de traits forts, ou modestes qui, si on devait les prolonger, ne correspondraient à rien d'autre qu'aux ourlets de sable cousus par le vent sur le tapis de la plage, aux courbes des dunes, aux linéaments des pins ensablés, aux rainures des écorces, aux courses mécaniques des insectes fouisseurs, aux sillons des labours, aux bords tirés par les voiliers, aux cordages entrelacés sur les ponts, aux cartes anciennes, aux parallèles et aux méridiens qui encagent la planète dans une invisible résille, aux réseaux hydrographiques des continents, aux artères sinueuses de la vieille ville, aux allées du cimetière, au loin, sur la colline, aux croisements célestes des lignes électriques, aux fissures des plafonds de sa chambre d'hôtel, aux lierres des façades XIXème, aux glycines des balcons, aux veines qui germent sous les pieds, aux plis évolutifs des corps, aux rides effilées de son visage et jusqu'aux lignes de sa main qui, tout à l'heure, rangera cette petite pierre sur une étagère. Et dès qu'il lui aura trouvé un nom, dès qu'il l'aura baptisée sous les croisées d'ogives de sa tête, trouvera donc sa place dans la collection. Elle trouvera en même temps une proximité de valeur, comme un livre serti d'autres livres, un souvenir étayant d'autres souvenirs, une émotion brillant dans le miroir d'autre émotions. On raconte que, jadis, aux enchères communales de bonne ville Delft, certains coquillages rares, certains papillons exotiques venus d'Inde ou de Malaisie, se vendaient et s'achetaient bien plus cher que les petites toiles mélancoliques d'un certain Monsieur Vermeer…