VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES

Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…
DREAM ON
Le rêve est une forme de désir très puissante, disait Luigi Éden-Théa. Et cette puissance, qu'il tire du réel, il la ramène au réel sous une attraction moutonnière, qui éclate au sol comme une bombe à eau. Il n'y pas grand chose de plus prégnant qu'un rêve, disait-il. Rien de plus touchant. Quoi ! une sensation… mais elle n'a pas cette durée du rêve. Une passion alors… Oui, mais c'est encore un rêve non ? Qu'y-a-t-il de plus réel que mon rêve lorsque je le rêve ou, lorsque je le raconte ? Rien, à part sa dissipation sûre, sa mort subite écrite en lettres fluorescentes dans le noir de l'existence. C'est là tout ce que le rêve, n'importe quel rêve, induit en soi. La force de mon rêve, c'est précisément de me convaincre de ce quelque chose, de cette faiblesse intrinsèque et finie qui le condamne pourtant. La faiblesse du moindre de mes rêves est monumentale. Elle a la force guerrière du réveil. Elle est envahissante comme une énorme statue de marbre dans un petit jardin. Cette puissance faible aussi expressive que ridicule, comme toute définition de l'être humain. Mais rien ne réduit les arcanes ni les formes du rêve, qui ne sont pas obligatoirement subtiles, complexes ou abandonnées, mais cognent à la porte de manière expressionniste, monstrueuse parfois, disait Éden-Théa. Mais voilà que je remplace le mot rêve par le mot de "fiction" ou celui de "littérature". N'entrevoit-on pas alors, une dimension unique dans toute sa splendeur paradoxale ? Une seule, petite, facette de l'unidimension ? C'est un éclat du réel qui ressemble à tout et à tout le monde, et qui se mire dans le rêve comme dans un miroir brisé. Ce ne sont peut-être que des bouts de charbon, disait-il. Peut-être. Mais au fin fond de la mine, ils ont côtoyé des diamants.