VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES



Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…


mardi 27 janvier 2009

AU LAOSTHAN



Au Laosthan on aime beaucoup les enfants, mais on aime encore plus le pain. Là-bas ils font du pain qui ressemble à du flan. À d'énormes flans cuits sur des plaques de fer noir qui durcissent sous des coulées de lave dorée brillante et craquelante laissant paraître, par endroit, une mie crémeuse au travers d'une croûte cuivrée. Chacun fait le pain à son tour pour toute la famille. À midi, les enfants, les oncles et les tantes, les cousins, les cousines, les parents plus ou moins éloignés viennent chez l'un ou chez l'autre chercher son morceau de pain pour la journée. Il n'y a pas de cuisine pas de salon, pas d'entrée ni de terrasse dans les demeures du Laosthan. L'architecture serait plutôt tout en longueur, avec une chambre ou deux dans le fond et des commodités. Le poêle où cuit le pain flanique est situé près de la porte, et dès le bon matin, des fumées de cuisson s'entortillent autour de la façade en faisant des mouvements de sémaphore. L'odeur du pain se répand dans les venelles du village, monte et se mêle aux autres odeurs de pain, aux pains des autres familles mordorant l'espace public. Les enfants aiment venir chercher le pain qu'ils grignotent en rentrant lentement au foyer. Ils en profitent pour passer par les chemins creux, les bords de l'eau et les lisières de forêt. Arrivés aux étangs, ils jettent alors des cailloux aux grands oiseaux gris-bleu qui coulissent à la cime des montagnes enneigées reflétées par les eaux. Ils se font disputés comme ils arrivent en retard, et que toute la famille attend son pain en sirotant la soupe. L'enfant-pain entre dans un nid de regards venins. Il est d'abord mangé puis complètement dévoré en racontant comment, oui ! à l'étang parmi les herbes hautes les cimes et les neiges gris-bleu et… Là ! Sur la pierre grosse… Il a oublié le pain ; dernier festin pour les grands oiseaux.