VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES



Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…


mardi 9 décembre 2008

VÉRISTIQUE



Je plains les gens qui ne savent pas mentir, ils n'ont jamais rien à nous dire. Ils ne nous racontent jamais d'histoires ces gens-là, ils n'aident pas le monde à tourner disait Luigi Éden-théa. Incapables d'inventer la moindre échappatoire à une situation étouffante, incapables d'envisager un contraire possible, une contrainte horizontale qui ouvrirait une brèche. Je plains les gens qui n'ont que le mot vérité à la bouche, tendu en travers du cerveau en guise d'arc-boutant. Qu'ils demeurent certes, disait-il ! Mais ce sera fixes, plantés dans le sol comme des poteaux télégraphiques qui n'auront ni racines putrides à offrir au sol ni dérivations calligraphiques à planter dans le ciel. Leur souci véristique deviendra tellement puissant avec les années, avec les habitudes et les réflexes qu'il balaiera tout sur son passage. Je plains les gens qui pour des principes pareils finissent par ne plus pouvoir parler, par ne plus pouvoir communiquer avec, par ne plus rien risquer fut-ce du presque rien, disait Éden-Théa. Ce qu'il faut dire c'est qu'ils en finissent par ne plus pouvoir parler que d'eux-mêmes, sous peine de se voir tôt ou tard en flagrant délit. Car ce genre de nombril monté à quatre épingles et sur pattes c'est ce qui se fait de plus au point parmi les grands menteurs. Non je plains les gens bouffis de cette vanité-là, de cette pureté les faisant "croyants en eux-mêmes", et comme des dinandiers d'absolu. Les gens qui ne savent pas mentir disait-il, ne portent jamais de masque ni de fanfreluches morales. Ils sont transparents, ils croient à une idéologie de la transparence comme les pires architectes, les pires publicitaires, les pires hommes politiques qui sont alors les pires des pires, disait Éden-Théa. Ils préfèrent se gratter le visage jusqu'au sang, s'arracher les poils du pubis et se gratter les grains de beauté… Mais tout ça c'est encore des histoires disait-il ! C'est de la mauvaise métaphore, c'est trop près de ma vérité et c'est donc sans effet. Ma vérité c'est que toutes les belles-âmes se gargarisant à la véristique, ne font jamais que se parfumer à la dynamite introspective, et qu'ils sont incapables d'aller là où tout ce qu'ils professent les mènerait assurément : c'est-à-dire à chaque fois qu'ils parlent, à se trancher la gorge à se couper les bras à s'inciser les yeux dans le sens de la largeur pour mieux les étaler sur la page blanche avec un couteau, disait Luigi Éden-Théa. Un vrai couteau, une vraie page, une vraie vie… Et tout ça n'aurait aucun sens aucun intérêt aucun écho aucun ancrage si je ne me sentais entouré d'apôtre de la véristique se vautrant dans la fange hypocrite et le vrai mensonge : celui qui tue ! celui qui éloigne les gens les uns des autres ! celui qui fait des trous dans la tête… Je plains les gens qui ne savent pas mentir car leurs bibliothèques seront vides, disait Éden-Théa, car ils n'aiment pas la fiction — qui veut dire mensonge —, car ils ne sont personne et qu'ils n'aiment personne. Personne : persona, phersu, prosôpon, prose… Et cetera, disait-il ! Et puis je suis fatigué.