
(image d'Emmanuel Georges)
Le ciel vient de prendre cette très précise couleur de prune. La mer ne soigne pas que l'âme. Plate agitée voire violente, elle circonvient aussi certaines affections de la peau, qui sait adoucir les plis et les bosses du corps multiple. La certitude qu'une marée chasse aussi bien le spleen que la verrue plantaire, le varech que l'étron flottant, ramène lentement à soi puis les avale goulument, tous les petits sentiments, tous les misérables petits secrets, toutes les zones atiédies du cerveau lavables en machine. Sans soigner, sans cautériser, au-delà du remède la mer est cette circonscription de symptômes. Elle fait parler le silence, qui transforme une lourde enfilade d'idées noires en simple rumeur de rivage. Comme aux falaises blanches les blocs de calcaire, qui finissent par coïncider là roulés en granulés minuscules, la mer recueille les signes humains qui tombent, séparément et ensemble, depuis des millénaires encochés sur l'Arbre. Il n'y a rien à dire de la mer. C'est elle qui parle en permanence. Son écriture déchiffre les paroles gelées, les images embuées depuis trop longtemps dans un tremblement pleutre mais tenace que l'on appelle aussi mal de tête, amertume ou mélancolie. Rien ne nuit à regarder la mer qui passe, lasse et s'efface. Vaste crâne en fusion, bouche sombre et fécond estomac, l'eau en mouvement, l'eau sanguine, l'eau sans cesse est un théâtre intempestif, une dimension d'éperdu dont le miroir est simplement plus large que nos têtes.