VAGUE DE PAPIER SUR LES CORRESPONDANCES ÉLECTRIQUES



Tout a une faim. Et j'ai une bonne demi-douzaine de chiens aboyant-famine aux crocs longuement plantés dans mes mollets. Je suis en colère. Contre moi-même. Je passe mes jours dans la jungle électrique à retourner ma tête dans tous les sens ; le mot de torticolis n'ayant plus le moindre sens pour un cortex défaisant sans trêve la nasse grise de ses méandres. Je vais rentrer sous ma tente. Et peu importe que j'y découvre un désert plutôt que des tentures achéennes et des coussins moelleux… Il n'y a plus de secret. Je dois retourner mes miroirs et entrer méthodiquement dans la nuit. Depuis quelques mois déjà, les espions de La Société Universelle de la Fiction enquêtent sur mon sujet. Leurs rondes silencieuses ont porté leurs pas jusque dans mes rêves sourcilleux, et je crois entendre des murmures et des sons électriques de l'autre côté du mur. Je crois qu'ils se penchent désormais sur mon épaule, comme des anges déchus ou des fantômes. Et ce n'est rien de dire que le sang frais de ce lieu se voit menacé d'ores et déjà d'un crime microbiologique… Le jour précis de son premier anniversaire, le blog du correspondancier est donc menacé —tel un récif corallien près les côtes australiennes— par un immodéré et immérité retour à la fiction, au papier, aux savanes d'encres, aux savantes ratures et aux mille et uns cafés. Il y a désormais un grand péril de déperdition uni-globale de diversité biologique en germe parmi ces lignes, et mes stocks de résistance diminuent à vue d'œil comme ce silence grandit. Nul ne peut dire si quelque prurit électronique fils de l'addiction et de la désinvolture ne me forceront pas la main dans le sens d'épisodiques retours ? Comment savoir. Le pire n'est pas toujours sûr. Néanmoins, ma voix ne sera longue que dans le désert blanc, et je ne peux laisser pour l'instant qu'un souci d'explorateur à mes fidèles lecteurs. Acceptez donc parmi mes remerciements sincères, cet indéfinitif claquement de porte, et les modestes clics spatio-temporels qui vont avec. À bientôt donc, ici ou là…


lundi 11 août 2008

LE PETIT ÉCART

Il y a autant de formes d'inadéquation au monde qu'il y a de têtes qui, en lui, pensent. La façon de se poser des questions, de faire détour par les questions est instigatrice du chemin. Ce n'est encore qu'une façon de faire les choses, de les faire autrement, de manière fantomatique voire, invisible, disait Luigi Éden-Théa. Et de les envisager ainsi séparément, à l'écart, l'on se sent soudain nanti d'un attribut, d'une force faible capable de façonner la terre meuble ou de détourer, sur un rocher plus lisse, sa main gauche à l'aide de sa main droite. Cette notion d'écartement, de positionnement face au monde, à côté du monde, est l'équivalent du débordoir à requin, seul capable de repousser — d'un geste juste —, la gueule du squale ouverte. C'est un exercice à l'arme blanche. Une façon de trancher. D'être deux en soi-même, et de tenir les deux bords de sa propre plaie, disait-il.

À quoi bon se projeter comme s'oublier, jouer le monde ou le rêver si c'est pour occulter les éléments constitutifs du décor, pour nier ces épithètes du corps qui crissent au bord de chaque phrase comme des pneus de bagnole. L'abime aux reliefs psychologiques du miroir introspectif ne suffit donc pas. Il s'agit de bouger, de faire danser sur place les questions, et de forger du là-bas avec de l'ici, disait Éden-Théa. Moi je remue péniblement mes orteils dans le sable mou, et j'humecte de la terre de ma transpiration sans toiser le ciel en attendant la chute ailée d'une quelconque Inspiration divine en caleçon de flanelle. S'il y a des anges, disait Luigi Éden-Théa, alors ils ont le mufle dans la boue. Si tu fais ton chemin en avançant, tu ne peux pas compter marcher sur des dalles de marbre polies. Et même si tu t'accroches ferme à ta machette, tu ne peux que tâtonner du pied dans la jungle de cette petite fourmilière végétale qu'est devenue ta tête ; à plier des feuilles d'arbres, à écraser des insectes et casser plus que quelques branchages. Ce que tu fais naît de ces brèches ; de ces flammèches écrites au plus sombre de l'eau disait-il.

La bouche en situation de bouche, ultra sensible et oublieuse à la fois, est capable d'inouïes articulations avec le monde qui l'entoure. Elle mâche jusqu'aux silences que l'on dit pourtant impalpables. Le corps humain — s'il apparaît souvent comme limité au regard des capacités divisibles de ses parties — et ses membres, circonviennent ensemblet à des gestes pouvant varier avec la notion d'infini. Les façons de vivre travaillent depuis toujours à des forces de passages, d'éloignements de soi et de rapprochements avec les autres ; les vivants et les morts. Ce sont tout ensemble mises à l'écart de soi et justifications du même. Ce sont parfois mises à l'épreuve, car le surgissement de la question peut naître et croître plus vif qui jaillit de la bouche d'autrui, disait Éden-Théa. Une certaine recherche — certaine — de la liberté, mais comme celle d'un fruit apparaissant et disparaissant presque en même temps sur l'arbre, l'espace d'un instant, d'un petit écart palpable alors que, jamais de la vie, on avait eu tant soif.